Quelques fois par an la troupe du lundi se retrouve dans l’arrière boutique du Monde du Vin à Saint-Louis. Avec Fabrice, Jean-Paul, Christian et Philippe, nous débouchons quelques belles bouteilles entre amis pour refaire le monde en un après-midi. Cette fois-ci : « Le Rêve » 2005, Domaine Carneros, Californie ; Hermitage blanc « Le Chevalier de Stérimberg » 2011, Jaboulet ; Alsace Rotenberg 2007, Marcel Deiss ; Beaune 1er Cru Les Vignes Franches 2008, Louis Latour ; Château Beauséjour Duffau-Lagarosse 1990, 1er Grand Cru Classé de Saint-Emilion ; Corbières « Romain Pauc » 2005, Château La Voulte-Gasparets ; Mazis-Chambertin Grand Cru 2001, Domaine Dupont-Tisserandot ; Corton Grand Cru 2006, Château Corton-Grancey ; Gewurztraminer Vendange Tardive « Cuvée Christine » 1990, Schlumberger ; Sylvaner Cuvée Oscar 2007, Clos Saint-Landelin, René Muré ; Champagne Rosé « Comtes de Champagne » 2006, Taittinger.
Comme à chaque fois les plaisirs viniques sont au rendez-vous lors de nos retrouvailles annuelles chez Fabrice, à la boutique du Monde du Vin, véritable caverne d’Ali Baba du vin à Saint-Louis en Alsace. Les règles du jeu sont relativement simples et contribuent au sens du partage qui s’inscrit au coeur de nos rencontres. Il s’agit d’accompagner un foie gras, un gibier puis un plateau de quelques fromages à travers d’accords souvent très recherchés mais somme toute assez classiques et fidèles aux grands terroirs.
Cependant ce genre de rencontres entre amateurs est l’occasion de parfois sortir des sentiers battus. C’est ce que propose Philippe en nous servant à l’aveugle (comme toutes les autres bouteilles de cette journée) un vin effervescent de Californie nommé « le Rêve » 2005 du Domaine Carneros. Cette maison, créée par la famille Taittinger au coeur de la Napa Valley à la fin des années 1990, reproduit l’esprit luxueux de la Champagne mais dans un environnement plus exotique. Cette cuvée de prestige du Domaine Carneros est produite exclusivement à partir de Chardonnay, le nez laisse apparaître des notes caractéristiques de beurre, de levure de bière et un toasté fin et élégant. En bouche ce vin concilie des notes fumées, d’amande grillée à des arômes de miel et de tilleul. Son expression crémeuse respire l’élégance même si l’on perçoit un côté solaire accentué par un léger dosage. En somme nous sommes en présence d’un vin très bien fait avec une exubérance contenue, par opposition à un Champagne de terroir brut et calcaire dans le style de la cuvée Comtes de Champagne (au même prix qui plus est)… Une découverte étonnante par une belle mise en bouche.
Nous attaquons les réjouissances avec un foie gras d’oie et de deux vins blancs au style bien différent. Tout d’abord l’Hermitage « Le Chevalier de Stérimberg » 2011 de Jaboulet qui offre un accord de classe : son nez propose des notes fumées, de fruit confit (abricot) ainsi qu’une minéralité sous-jacente. L’attaque de bouche joue sur la finesse et la légèreté avec des beaux amers et un extrait sec qui restitue toute la singularité de ce terroir extrême. La chaleur du lieu est restituée sans aucune lourdeur grâce à la force d’un grand terroir. Ce vin a de la race et du caractère mais n’exagère jamais, sa justesse en est presque touchante.
Après lui nous terminons le foie gras avec l’Alsace Rotenberg 2007 du Domaine Marcel Deiss. Ce vin issu de vignes de Riesling et de Pinot complantées sur un terroir calcaire dur et riche en oxyde de fer s’exprime avec exubérance et richesse, à l’image d’un climat très solaire et précoce. Ce vin de plaisir s’ouvre sur le miel, les agrumes confits et augure un ensemble riche et d’une grande maturité, à l’image des grands vins de ce millésime. Au palais sa complexité aromatique étonne, sur la girofle, les épices douces, le fruit confit, la cire et le sucre candy. A la fois chaleureux et opulent, il est cependant régulé par une fraîcheur lumineuse qui est un gage d’équilibre pour ce grand vin de terroir. L’accord sur le foie gras est démentiel et révèle tantôt l’ananas, tantôt l’abricot, mon Dieu que c’est bon !
Pas mal de vins rouges attendent patiemment d’être servis. Nous nous mettons en bouche avec le Beaune 1er Cru Vignes Franches 2008 de Louis Latour. Cette grande maison beaunoise possède un patrimoine de vignes extensif sur le ban de Beaune, cette parcelle se situe au Sud de la commune, mitoyenne du Clos des Mouches et des Boucherottes, tout proche de Pommard. Nous sommes en présence d’un vin à la robe grenat claire avec un nez typique sur les fruits des bois ainsi qu’une évolution kirschée. La bouche propose une élégance et une fraîcheur caractéristiques, des tannins fondus ainsi que des notes de cerise et d’épices évoluant sur la prune. Le classicisme de Beaune est combiné à une finale sapide et minérale qui excite les papilles. Il ouvre la voie royale au Château Beauséjour Duffau-Lagarosse 1990, 1er Grand Cru Classé de Saint-Emilion. D’emblée la robe sombre et opaque de ce vin intrigue. Le premier nez inspire des notes typiques de Cabernet Franc, sur les fruits rouges et noirs très purs (prune, cassis, cerise) ; l’évolution se fait sur des notes tertiaires de champignon, de terre mouillée et de cendre qui révèlent un caractère minéral sous-jacent. L’attaque tannique et concentrée laisse penser à un vin de quelques années tout comme des arômes de fruits noirs et de réglisse. Son élégance est néanmoins remarquable, sa présence au palais considérable. Un vin de légende, juvénile et d’un élan exceptionnel. Il est au début de sa longue garde, que l’on augure aisément jusqu’en 2040 : il n’a pas une ride. Quel privilège de déguster ce vin qui boulverse nos sens et nous procure des frissons. Pour certains il fait office de nouvelle référence, pour d’autres il porte en lui l’âme des grands Bordeaux. Waouh !
Il est dur de se relever d’un tel choc, et beaucoup souhaitent d’ores et déjà bonne chance au vin qui succèdera à ce Bordeaux de légende… Cependant le Corbières « Romain Pauc » 2005 du Château La Voulte-Gasparets joue des coudes devant une telle concurrence. Grâce à une grande maturité de fruit, sur le cassis, la cerise et d’épices, cet assemblage de Carignan (50%), Grenache (25%) complété de 15% de Mourvèdre et de 10% de Syrah propose un ensemble qui allie une grande concentration à une fraîcheur étonnante. La garrigue, les herbes de Provence et la lavande nous font voyager, la mûre, le pruneau et le cassis sont gourmands. Quelle tenue pour un vin de plus de 10 ans ! Superbe.
Nous terminons cette série de grands rouges par la région que avions visitée en préambule : la Bourgogne avec un plateau de fromages qui sent bon le terroir ! Nous débutons par un Mazis-Chambertin Grand Cru 2001 du Domaine Dupont-Tisserandot éclatant de fruit et débordant de fraîcheur ; sous-bois et cuir complètent le tableau aromatique. L’élégance prime sur la matière avec une finesse de tannin caractéristique et une certaine rondeur provenant d’un élevage à 100% en barriques neuves, dans un style plutôt moderne. Ce Mazis-Chambertin est issu de vieilles vignes de 60 ans et entre à peine dans sa phase de maturité. Le fruit doit encore s’épanouir mais d’ores et déjà des notes complexes de végétal, d’églantine et de café s’exprime avec finesse et élégance. Un tel régal sur le Brillat-Savarin que la bouteille se vide en une poignée de minutes ! La différence de classe est évidente avec le Corton Grand Cru 2006 du Château Corton-Grancey. Propriété de la famille Latour à Aloxe-Corton, ce château à la toiture célèbre abrite dans ses caves ce Grand Cru récolté dans les vignobles voisins. Au nez le vin se distingue avec un fruit noir pur, une pointe de griotte ainsi qu’une minéralité sous-jacente ; le tout est rehaussé d’une touche d’élevage (noisette). La bouche est agréable mais somme toute assez alcooleuse et au final légèrement asséchant. Ce vin fait preuve de caractère mais est certainement pénalisé par un millésime plutôt difficile.
La fin du repas approche et quoi de mieux qu’un Gewurztraminer Vendange Tardive « Cuvée Christine » 1990 des Domaines Schlumberger pour terminer le munster et nous préparer au dessert ! Les grandes cuvées de la plus grande propriété viticole alsacienne entrent souvent dans la légende des liquoreux, ce vin nous envoûte d’emblée grâce à sa robe couleur or d’une brillance cristalline. Le nez évoque sans doute un vieux Gewurztaminer avec des notes de curry et autres épices. La grande finesse du nez se mêle à la complexité naissante d’arômes de miel, de fruit jaune et d’agrumes confits. Une patine au velouté magique est certes encore marquée par le sucre mais déjà des notes phosphorées, de fleurs séchées et de quinine évoquent la complexité de l’âge. Un vin terriblement séducteur, au tout début de sa carrière car il ira loin, très loin ! Nous terminons par une étonnante vendange tardive de Sylvaner, ce qui est assez rare pour le signaler. Le Sylvaner Cuvée Oscar 2007 du Clos Saint-Landelin porte le caractère tardif de ce millésime exceptionnel en Alsace, avec des notes marquées de cire et de miel. La bouche reprend le même registre aromatique tout en préservant une fraîcheur acidulée. La finesse des arômes de fruits blancs accompagnent des nuances de fruit surmûri, mais c’est surtout cette sapidité, cette fraîcheur qui sont éloquentes pour un vin de cette maturité. Avec le temps et le réchauffement dans le verre, une certaine amertume surgit, néanmoins ce vin original veut la découverte.
Encore une fois quelle journée ! Il est 18 heures et le temps nous est compté. En accompagnement de bulles de Champagne Rosé « Comtes de Champagne » 2006 de la maison Taittinger nous terminons cette parenthèse amicale dans le temps. Comme ce Champagne encore fougueux et empreint de caractère nous espérons que le futur nous réservera de nouveaux de plaisirs viniques. Merci à tous pour cette journée entre amis !
In vino veritas